Makers

Publié le 17 février 2019 10:51 am

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On aurait pu croire à une redite. Ou une suite de l’âge de faire, publié en 2010, au Seuil. Mais il n’en est rien. Alors que dans l’ouvrage pré-cité, Michel Lallement conduisait une enquête seul auprès des hackerspaces ou autres Fab Lab qui, à toute évidence, ont un rapport différent au monde du travail, Makers, publié chez le même éditeur au mois d’avril 2018 est un travail collectif. Co-signé avec Isabelle Berrebi-Hoffmann et Marie-Christine Bureau, cet ouvrage très bien documenté et particulièrement agréable à lire, a réuni les compétences de spécialistes dans le secteur de l’informatique, du travail et de la sociologie pour tenter de disséquer le mouvement.

Qu’est-ce qu’un maker?

Un maker est quelqu’un qui a le cerveau droit très prononcé, créatif à souhait, capable non seulement d’inventer mais aussi de réaliser ses œuvres, dans un esprit anti-capitaliste avéré. Sauf qu’on est loin de la caricature baba-cool aux cheveux gras, que le mouvement a pris une ampleur énorme depuis le début des années 2000, comme s’il y avait une convergence entre l’explosion d’internet d’un côté, et la volonté de sauver l’artisanat de l’autre. Un retour aux sources de l’homme confronté au tout fabriqué ? Pas tout à fait non plus. Car le « travailler ensemble » est un des points les plus importants de la mentalité Mackers. Il ne s’agit pas de réaliser un objet seul dans un FabLab mais de partager et de capitaliser sous une autre forme : par l’entraide. On évolue du DIY « do it yourself » au DIWO « do it with others ».

Aussi verra-t-on fleurir des magazines, des blogs, des salons, des conférences où lycéens, étudiants, salariés, patrons, indépendants et retraités se livrent et se côtoient dans la même philosophie.

Un peu d’histoire

Les auteurs ont d’abord offert au lecteur un peu d’histoire. Qui a bien pu influencer le mouvement ? Les Shakers ? Cette secte protestante de Boston qui pratiquait l’autarcie absolue… Les Arts and Craft ? En marge de la société britannique de la seconde moitié du XIXe siècle qui se voulaient les défenseurs de l’artisanat face à la révolution industrielle ? Les ouvriers eux-mêmes qui jouissent dans le mouvement d’une liberté et d’une autonomie impossible dans le milieu du travail ? Evidemment, ce sont tous les courants, qui sont à l’opposé du Taylorisme qui vont nourrir les Makers. Cette diversité se retrouve dans les lieux appelés « makerspaces », véritable « famille » où les locaux, les activités, les équipements sont mis en commun. Aucune règle de décors ou d’enseigne. Nous ne sommes pas dans l’esprit d’Ikea. Mais des règles de vie, oui. Toutes différentes en fonction des lieux et des idéologies qui n’échappent pas pour autant aux affres de la nature humaine : jalousie, quête de la domination ou/et du pouvoir, intérêts personnels… Les makerspaces ne sont pas épargnés par les tensions.

Si, comme dans toutes les associations, les bénévoles sont à la fois engagés, emportés par des sentiments de respect de la démocratie, chez les Makers, le principe de résilience y est très développé. On entend par résilience la définition donnée par Michel Mancieux en 2001 : « la résilience est la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépits des évènements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères ». Il est évident que le goût prononcé des Makers pour la transformation donne un avantage certain dans leur capacité à rebondir, à appréhender l’avenir.

Les Makerspaces

« Les mackerspaces sont aussi, et ce n’est pas rien, des lieux où l’on forge une sémantique pour le monde qui vient… Immense est le pouvoir de nommer» rajoutent les auteurs. Nommer pour quoi faire ? Pour s’identifier à une communauté, à un groupe, pour se différencier… car les Makers ne sont pas tous les mêmes. Vous avez des catégories, plus institutionnelles, plus tournées vers le monde industriel que l’on va retrouver dans les FabLabs. Par ailleurs, le FabLab est une marque déposée et souvent utilisée à tort pour nommer des lieux d’innovation qui offrent à leur public des machines pour mettre en fabrique une idée.

Les Hackerspaces sont plutôt des espaces dédiés au développement de logiciels open-source. Mais on va aussi y trouver des râpes à bois et des machines à couper au laser. Le principe est que « chacun bénéficie des ressources utiles pour donner libre cours à ses projets ». Alors que dans la définition Makerspace, vous avez la notion de « faire », sans distinction de technologies, de machines ou de conditions d’accès. Tous ont un langage différent. D’ailleurs, les auteurs se sont penchés sur les profils LinkedIn de 216 makers, fréquentant un Makerspace.

Et qu’ont-ils découvert ? Que les sept profils sociaux sont aussi homogènes que masculins. On y trouve des architectes, des artistes, des administrateurs, des ingénieurs, des techniciens, des médiateurs culturels et des étudiants. Il semblerait que le baba se soit muté en bobo passionné par « la bidouille » et mené par un seul objectif commun au monde des makers : faire dans un refus de la norme. Alors peut-on fonder une communauté sur un idéal ? Est-ce vraiment un idéal ? Comment le mouvement, avec de telles différences et d’antagonismes, continue à se propager ? La première explication serait le maintien d’un lien social fort, basé lui-même sur le rituel et le jeu. La seconde se trouve au cœur des réseaux sociaux où les makerspaces du monde entier publient, existent et se distinguent en respectant « la neutralité du Net, la libre circulation de l’information et la protection de la vie privée ». Des outils puissants qui mobilisent les Makers dans le monde entier dans la diversité, le partage des connaissances et du savoir-faire. Les auteurs s’appuient sur des exemples, à Nancy, à Berlin, à Nantes, à New York et à une série d’études qui, de surcroît apparaît aux yeux du lecteur comme un catalogue. On pourrait penser qu’ils sont interconnectés et gérés- pourquoi pas – par une fédération.

C’est mal connaître les Makers qui refusent les institutions, prônant plus volontiers la liberté individuelle et collective et un mode de fonctionnement indépendant. Les Makerspaces sont le reflet des individus qui les composent et non le contraire. Et pourtant… Le résultat est probant : les colloques, conférences, ateliers ont un succès considérable auprès d’un public varié. Le manque d’organisation claire semble profiter à la communauté des Makers. Parce que justement, les idées les réunissent sur des sujets comme l’éducation populaire, l’économie sociale et solidaire, le coopérativisme, les innovations sociales, le tout relié à la technique, l’art et l’artisanat. Et s’il n’y a pas de fédération, que les membres, géographiquement éloignés, se parlent et se comprennent, c’est bien la preuve qu’ils parlent le même langage. Le monde des Makers est « une force capable de faire levier par différents moyens à commencer par l’essaimage et par l’alliance ».

Un ouvrage riche

Référence absolue dans leur domaine, Makers fait preuve d’une richesse d’informations proprement prodigieuse nous permettant de découvrir un monde à part, précurseur, mais aussi d’avoir une vision mondiale du phénomène et de ses racines. L’étude est impressionnante tant l’analyse ethnographique est précise et accessible pour les lecteurs sans connaissances poussées en sociologie. Par ailleurs, le style est très agréable et sans rupture, malgré le fait qu’il soit écrit à six mains. On a cependant l’impression que la neutralité stylistique, même si elle privilégie l’information avant tout, ne permet pas aux lecteurs de s’immiscer dans le quotidien des Makers.

Y a t-il des événements extérieurs, économiques ou politiques qui les ont poussés à rejoindre le mouvement ? Qui sont-ils au-delà de leur catégorie socio-professionnelle ? A quoi aspirent-ils dans l’avenir ? Comment le vivent-ils au quotidien, partagent-t-ils avec leur famille ? Malgré la profusion de détails, nous restons constamment à la surface du bouillonnement psychologique et artistique des Makers. Dommage également de ne pas avoir une analyse des perspectives d’avenir. Comment les auteurs voient le futur des Makerspaces ? Les grandes entreprises ne sont qu’à l’ébauche des Hackathon, assez éloignées du monde des makers d’ailleurs. Des makers qui manifestement n’ont guère envie de se mêler à ces travaux corporate. La critique la plus sévère revient au groupe… SNCF qui « ouvre surtout… Ses pièges à loup : on demande aux artistes de prévoir un passage à la caisse du genre sévère : non seulement il faudra payer le lieu, mais prévoir aussi de le rendre en l’état, et de surcroit SNCF s’arrogera le droit de propriété des œuvres. La grande classe ».

Manifestement, il y aura des efforts à réaliser des deux côtés pour que ces deux extrêmes se rencontrent vraiment, pour que la transformation digitale du monde de l’entreprise ne se fasse pas sans des profils qui sont essentiels pour le futur et pour que les Makers ne se perdent pas dans les méandres d’expériences sans retour.

A lire aussi : L’âge de faire de Michel Lallement, Points

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